Portrait d’un photographe amoureux
« Gardez les yeux ouverts, vous verrez des choses merveilleuses. » Eric Mistler
De père argentin et de mère française, Eric aime l’image depuis toujours, qu’elle soit fixe ou mouvante. Il entretient avec elle une relation amoureuse que le temps n’a jamais altérée. Tout a commencé avec son grand-père argentin. Comme dans les belles histoires d’antan, ce grand-père adoré le prend sous son aile et l’initie à la photo. Pour ses 10 ans, il lui offre un Brownie Kodak, acte fondateur pour Eric. Dès lors, il mitraille tout ce qu’il voit ; son œil ne quitte plus l’appareil. Et si ce grand-père juge avec une certaine sévérité lespremières photos de son petit-fils, c’est pour mieux lui apprendre les bases : cadrage, distance, angles deprises de vue… Cet éveil à la photographie marquera profondément l’enfant qu’il était, préfigurant ainsi une vie entièrement consacrée à l’image.
Pour l’heure, Eric comprend vite qu’une photo n’est pas une image figée et sans vie, mais qu’elle raconte une histoire qui peut être drôle, triste, émouvante, surprenante, rocambolesque, et bien d’autres chosesencore. Et ça lui plaît. Et ça le rend heureux. Alors oui, c’est décidé, quand il sera grand, il racontera deshistoires ! Du monde qui l’entoure, il en sera à la fois le témoin et le conteur, juste en appuyant sur un déclencheur. N’est-ce pas là une merveilleuse perspective ?
Mais un événement va totalement bouleverser ses plans. Eric est désormais un adolescent et un beau jour, sans doute à l’occasion d’un anniversaire, on lui offre une caméra. Nouvelle découverte et nouvel émerveillement ; c’est un coup de tonnerre dans sa vie. Cet objet le fascine, comme s’il était magique et, comme on peut s’en douter, l’appareil photo est immédiatement détrôné ! Le matin, l’après-midi, le soir, chez lui ou à l’extérieur, le voilà qui filme à tout va ! Il délaisse les cours pour réaliser ses premiers courts métrages. Il n’y a plus que ça qui compte. Lui qui a connu le déracinement à l’âge de 13 ans, lorsque ses parents quittèrent l’Argentine pour venir s’installer en France, cette passion naissante – et déjà dévorante – l’aide à trouver de nouveaux repères et à ne pas sombrer dans une forme de mélancolie, autrement appelée « mal du pays », qu’éprouvent tous les déracinés. Et au fil de ses petits tournages, deux domaines vont rapidement constituer les sujets centraux de ses reportages et documentaires : le sport et la musique. Lui-même est un sportif accompli, notamment comme rugbyman. Il jouera d’ailleurs au Racing Club de France, club prestigieux fondé en 1882, et connu désormais sous le nom de Racing 92. Il y retrouve aujourd’huiencore des compatriotes, car il existe depuis longtemps des liens forts entre les joueurs argentins et le club francilien.
Les années ont passé, Eric a grandi et il est devenu producteur en fondant « Flagrant Délit Productions ». Avec cette société, durant 40 ans, il va produire des clips, des documentaires et des longs métrages. Ces quatre décennies seront ponctuées de quatre moments clés. D’abord, un documentaire sur le mythique groupe de rock AC/DC (1979). Intitulé « Let There Be Rock », il fera date, et tous les fans du groupe l’ont vu ou le verront un jour. Puis en 1982, onze ans après leur première rencontre, le navigateur Eugène Riguidel – vainqueur, entre autres, de la transat en double en 1979 avec Gilles Gahinet – appelle Eric et lui dit : « Je fais construire le plus grand trimaran du monde, ce serait bien que tu filmes. » Quatre documentaires suivront, renforçant ainsi entre les deux hommes une amitié désormais indéfectible. Vient alors le temps des fictions. Eric produit le premier film de Bruno Podalydès, « Versailles Rive-Gauche » (1992) et, en 2012, il est producteur associé du film de Patrice Leconte, « Le Magasin des suicides ». Pour lui, ce sont ses « quarante glorieuses ».
Nous sommes en 2017 et Eric le sent, Eric le sait, c’est le moment de revenir à son premier amour, la photo.Il considère avoir la maturité qu’il faut pour se lancer enfin et à fond dans la photographie. Deux ans plus tard sort le livre Paris Buenos Aires. Pour ce premier ouvrage, il ne pouvait en être autrement. Ayant desracines en France et en Argentine, c’est une véritable déclaration d’amour qu’il fait aux deux pays – et donc aux deux cultures – qui l’ont construit. Le projet artistique du livre est de mettre en regard les photos prisesdans l’une et l’autre ville, pour qu’elles forment des paires et marchent de pair, en se faisant écho. Elles ont été prises dans la rue et sur le vif, au gré de ses déambulations. Au cours de cette heureuse errance, Eric a pu enfin faire de sa double appartenance une force vitale, une joie d’être.
On trouve dans Paris Buenos Aires deux aspects fondamentaux de son art photographique : l’empathie etl’humour. Mais ce n’est jamais un humour féroce ou agressif, ce sont des petits clins d’œil amusés et pleinsde tendresse, de légers décalages transformant une scène banale en un moment cocasse, parfois même en une scène burlesque qui peut rappeler l’univers de Jacques Tati.
En 2022, paraît en Argentine Un Trueque (un troc). Ce livre met en miroir trente photos d’Eric et trentenouvelles de l’auteure Bernadita Aguirrezabala. Chaque texte s’inspire d’une photo, non pour la décrire,mais pour broder une histoire à partir de ce que donne à voir la photo,« littéralement et dans tous les sens », pour reprendre les célèbres mots de Rimbaud.
Pour ce troisième livre, Eric a choisi un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, le sport féminin. Mais cettefois, ce sont des portraits, ce qui signifie que les modèles posent. Pour les trouver, Eric a dû se lancer dans des recherches considérables. L’idée centrale est de mettre en avant le sport amateur féminin, avec dessportives de toutes les origines et venant de tous les milieux, partout en France. Il entend également accorder une place importante au handisport. Dans tous les cas, « J.O. Paris 2024 » obligent, ce doit être unsport olympique ouparalympique. Tel un photographe itinérant, Eric a donc sillonné de nombreuses régions et s’est rendu dansune quarantaine de villes. À chaque rencontre, il a instauré un vrai dialogue qui pouvait durer longtemps, devenant même parfois un véritable confident. Il a pu ainsi installer un climat de confiance et faire naître une complicité indispensable pour que les photos ne sonnent pas creux. Un portrait photographique de qualité esttoujours le fruit d’une alchimie complexe. Dans cet ouvrage, la magie opère à un point tel, que l’on peut presque entendre battre le cœur des sportives qu’Eric a photographiées.
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